Gepubliceerd op 23/12/2024
Une société (et le fait d’en être actionnaire ensemble) est la forme la plus intime de collaboration.
Il n’est pas rare que des conjoints mariés (c’est souvent le cas dans les professions libérales) créent ensemble une société pour y loger leurs activités. Le simple divorce des conjoints n’est toutefois pas suffisant pour entraîner leur séparation au titre d’actionnaires au sein de la société.
Le jugement suivant a surtout mis en avant les faits liés au divorce pour motiver une exclusion conformément à l’article 2:63 du Code des sociétés et des associations (CSA).
Art. 2:63.
Un ou plusieurs actionnaires d’une société à responsabilité limitée détenant ensemble des titres représentant 30 % des voix attachées à l’ensemble des titres existants, ou auxquels 30 % des droits aux bénéfices sont attachés, peuvent demander en justice, pour de justes motifs, qu’un actionnaire transfère ses titres aux demandeurs.
Un ou plusieurs actionnaires d’une société anonyme détenant ensemble des titres représentant 30 % des voix attachées à l’ensemble des titres existants, ou des actions dont la valeur nominale ou le pair comptable représente 30 % du capital de la société, peuvent demander en justice, pour de justes motifs, qu’un actionnaire transfère ses titres aux demandeurs.
**I. Faits de la cause**
– Lucas De Smet et Sophie Van Den Berghe, tous deux vétérinaires, se sont mariés le 6 juillet 1996. Ils ont créé la société BV De Groene Weide le 16 octobre 1998 pour gérer leur cabinet vétérinaire commun.
– Le divorce entre les parties a été prononcé le 26 octobre 2020.
Avant le divorce définitif, De Smet a assigné Van Den Berghe en justice le 4 septembre 2020, en vue de l’exclure de l’actionnariat de la société. Les deux parties ont convenu de nommer Tom Verhoeven, réviseur d’entreprise, pour déterminer la valeur des actions. Dans l’attente de son rapport, la cause a été renvoyée au rôle.
– Le 24 décembre 2020, De Smet a déposé une requête en vertu de l’article 19 du Code judiciaire. Selon lui, Van Den Berghe perturbait grandement le fonctionnement de la société. Il demandait au tribunal de prendre des mesures conservatoires. Le 10 février 2021, il a été décidé de nommer un médiateur, en la personne de Jan Peeters. Cette médiation n’a toutefois pas abouti à un accord et, le 21 mai 2021, Peeters a indiqué qu’aucun progrès n’avait été réalisé.
**II. Cadre juridique et procédure**
– La citation introductive a été signifiée le 4 septembre 2020 et inscrite le 8 septembre 2020. L’ordonnance du 14 juin 2021 a prévu que l’affaire serait traitée en audience publique le 27 juillet 2021. Pour apprécier le litige, le tribunal a pris en compte les conclusions de synthèse des deux parties et les pièces qu’elles avaient déposées.
– Le tribunal suit la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire.
**III. Demandes des parties**
**Lucas De Smet**
– De Smet demande que le jugement soit déclaré opposable à BV De Groene Weide et qu’il soit déclaré exécutoire par provision afin que les mesures puissent être mises en œuvre immédiatement.
– Il demande également que Van Den Berghe ait l’obligation de céder ses actions dans la semaine qui suit la signification du jugement contre le paiement de 210 500 euros, sous réserve du rapport d’expertise du réviseur Jan Jansen.
– Il demande que Van Den Berghe soit condamnée aux frais et dépens de l’instance.
**Sophie Van Den Berghe**
– Elle conteste le bien-fondé de la demande et demande au tribunal de déclarer la demande de De Smet non fondée.
– Si le tribunal décide d’un transfert, elle demande une actualisation de l’évaluation de Verhoeven jusqu’au moment du jugement.
– Elle réclame une indemnité de procédure de 1 440 euros.
**IV. Jugement du tribunal**
**Action en exclusion de Sophie Van Den Berghe**
– De Smet soutient que Van Den Berghe s’est rendue coupable d’actes contraires aux intérêts de la société. Il l’accuse d’avoir transféré illégalement des fonds de l’entreprise sur son compte privé, d’avoir payé des dépenses privées (appareils ménagers, frais juridiques…) avec des fonds de la société et d’avoir orienté des clients vers d’autres vétérinaires.
– Il affirme également que Van Den Berghe a manqué à ses obligations professionnelles en ne partageant pas les informations cliniques concernant les patients et en laissant même un animal sous anesthésie dans le cabinet sans la présence d’un autre vétérinaire. Ce dernier point constitue une faute déontologique grave.
– De Smet accuse, en outre, Van Den Berghe de perturber le climat de travail en montant les membres du personnel les uns contre les autres et en tenant des propos menaçants et humiliants, ce qui a donné lieu à une enquête de Mensura à la suite d’une plainte de membres du personnel.
– Le tribunal estime que De Smet a suffisamment étayé ses allégations par des pièces justificatives et des témoignages du personnel. Van Den Berghe n’a, en revanche, présenté aucun élément concret qui réfute les allégations.
**Base juridique pour l’exclusion**
– Le tribunal se réfère à l’article 2:63 du Code des sociétés et des associations (CSA), qui permet l’exclusion d’un actionnaire s’il existe de justes motifs qui mettent en péril les intérêts fondamentaux ou la continuité de la société.
– Le tribunal considère que la relation perturbée entre De Smet et Van Den Berghe, en plus d’être grave et profonde, menace la continuité de la société. Le tribunal conclut que le comportement de Van Den Berghe au titre d’actionnaire a un impact négatif sur le fonctionnement et la réputation du cabinet et que son exclusion est dans l’intérêt de la société.
**Évaluation des actions**
– Le tribunal fonde l’évaluation sur les rapports du réviseur d’entreprise Verhoeven, qui a calculé la valeur substantielle nette (392 046 euros) et la valeur de rendement (842 000 euros) des actions. Le tribunal apporte une correction à la valeur de rendement, compte tenu du départ de deux des trois vétérinaires du cabinet.
– Comme Van Den Berghe s’oppose à une clause de non-concurrence et que le tribunal estime que son départ et ses activités concurrentes affecteront la société, la valeur de rendement est réduite de 25 % et ramenée à 631 500 euros. La valeur finale des actions de Van Den Berghe est fixée à la moyenne de la valeur de rendement corrigée et de la valeur substantielle, soit 255 886,50 euros.
**Production des documents**
– De Smet demande à Van Den Berghe de produire le rapport d’un autre réviseur, Jan Jansen. Le tribunal estime que ce rapport n’est pas pertinent, car il n’est pas contradictoire. Le tribunal estime qu’il peut déterminer la valeur des actions sur la base des documents produits à ce jour et de l’expertise de Verhoeven.
**Condamnation aux dépens**
– Le tribunal condamne Van Den Berghe aux dépens de la procédure, étant donné que De Smet a largement obtenu gain de cause. Ces frais comprennent les frais de citation (282,40 euros) et l’indemnité de procédure (1 560 euros).
**V. Décision du tribunal**
– Le tribunal déclare la demande de M. Lucas De Smet d’exclure Mme Sophie Van Den Berghe fondée, et ordonne qu’elle lui cède ses parts dans BV De Groene Weide dans un délai de huit jours ouvrables à compter de la signification du jugement, moyennant le paiement d’une somme de 255 886,50 euros.
– Le tribunal déclare que cette décision vaut comme titre de droit pour les formalités liées au transfert des actions.
– Mme Van Den Berghe est condamnée à payer les frais de procédure et le tribunal déclare le jugement opposable à BV De Groene Weide et exécutoire par provision.
– Enfin, le tribunal impose à Mme Van Den Berghe de payer les droits de mise au rôle de 165 euros, tels que prévus par le SPF Finances.
Cette décision souligne la gravité de la perturbation du partenariat et l’impact négatif des actes de Mme Van Den Berghe sur la continuité du cabinet. Le tribunal souligne que l’exclusion est nécessaire pour protéger la gestion de l’entreprise et permettre à la société de continuer à fonctionner sans entraves.